Etape 1/11 - Zone critique : un premier tour d'horizon
Introduction
Nous sommes en avril 2021 et je ne sais pas si cette aventure du projet JUSTICE.S sera menée à son terme. Il me semble que les premiers voyages exploratoires en solo mêlés aux deux premiers modules avec mes trois acolytes nécessiteraient de tirer des premiers fils. Car à quoi bon accumuler tant de rencontres si ce n’est pour tenter de préciser l’objet d’une enquête qui se dévoile peu à peu ?
Je sélectionne plusieurs extraits, lis quelques auteurs de la galerie latourienne et compose un objet visitable sur internet, mêlant journal de bord et extraits d’interviews, grâce auquel j’accéderai à la formation SPEAP la rentrée suivante, la formation créée par Bruno Latour 10 ans plus tôt.
Je choisis de faire le lien entre toutes ces premières recherches en questionnant le terme de ruines. Mais en se demandant si par ruines, nous ne pouvions pas entendre des interstices qui renaissent, des potentiels à développer laissés en attente par des pouvoirs préoccupés par la conservation de leurs frontières, de leurs traditions, de leurs héritages coloniaux. Des territoires où les puissances d'agir se réveillent, où des personnes différentes s'organisent pour imaginer de nouvelles formes de droits, de justice, afin de réorganiser les ressources. En s'appuyant sur les usages au sein d'une même géographie, en faisant dialoguer les processus de réparation issus de cultures vernaculaires et les évolutions que permettent le droit international, de nouvelles solutions émergent pour penser des écosystèmes sociaux qui dépassent les divergences.
Parcours au travers d'entretiens réalisés dans plusieurs pays entre juillet 2019 et avril 2021, au gré d’une exploration sensible et subjective, pour saisir les enjeux et les réflexes contemporains de réappropriation.
Etape 1 : Bretagne romantique
Juillet 2019
La défense des terres devient l’enjeu numéro un des luttes écologiques et sociales. Les zones à défendre ne sont plus seulement des espaces voués à la disparition par la construction d’une infrastructure, mais de simples lotissements, des champs, tout un village.
Le principe de précaution s’accompagne alors de nouvelles règles du jeu, l’élu devient activiste pour une application contraignante avec effet immédiat. La création de nouveaux cycles écologiques passe avant tout par l’arrêt de certaines pratiques, la réorganisation de cycles de production complets.
Mais comment accélerer les processus ? Comment l’état en vient-il à incarner ces résistances au changement, lui dont on ne sait plus très bien ici de qui il défend les intérêts : ceux de la loi édictée à faire appliquer, de la liberté de commercer, ou des citoyens inquiets ? Entre lobbys et santé publique, que feront les juges ? Qui légitimeront-ils ? Un maire peut-il encore administrer son territoire, faire évoluer le droit national en évoquant un droit à l’expérimentation pour tenter de maitriser la pollution des sols ?
En juillet 2019, voilà deux mois que le maire de Langouët, en Ille-et-Vilaine, a promulgué un arrêté limitant l’utilisation des pesticides sur sa commune. L’affaire fera l’actualité nationale. Françoise, l’ancienne élue avec laquelle je parle est interpellée par la démarche de cet autre élu, à quelques kilomètres de là. Alors qu’en tant qu’autorité d’un territoire délimité il s’autorise à prendre des décisions pour préserver les terres, l’état en vient à saisir la justice administrative pour casser l’arrêté.