Module #1, Bretagne romantique - Ce qui reste ? Ceux qui restent ?
Après ces 4 années de voyages dans plus de 6 pays, plus de 72 personnes rencontrées, je vais essayer de me souvenir, de dire ce qui reste. Sans être exhaustif.
"Si je vous dis le mot Justice : qu’est-ce que cela vous évoque ?"
Avant tout n’oublions pas le module #0 de la Bretagne Romantique effectué en décembre 2018. (Je verrai si j’ai le temps de revenir dessus) (Ne pas faire les choses pour rien)
Juillet 2019.
Parcours à vélo sur 25 communes faisant partie de la Bretagne Romantique.
- R1 Marie Jeanne : La femme en vert, combinaison vert fluo, jardin vert, pelouse. Plan vert. Elle travaille pour les espaces verts de la commune. Elle habite le lieu-dit de “La Justice”. Elle nous raconte l’histoire de La Justice. Le chemin de sang entre le lieu-dit de la justice et le lieu-dit de la Potence. Du sang a coulé par ici. Est-ce que le fait d’habiter le lieu-dit de la justice influe sur votre sentiment de justice ? Je suis sans voix. Comment vit-on un jardin ? Cette question est inappropriée. Quel rapport avec la justice ? Nous devons accorder nos violons sur le sujet que nous abordons.
- R2 Jérôme : Déjeuner dans un café restaurant de village, repas d’ouvrier, côtes de porc et coquillettes. Nous profitons pour demander au patron s’il serait d’accord de nous parler. Il accepte accompagné de son chef cuisto. Ne pas se souvenir du lieu où on se trouve. Marie-Lis : « Comment ça s’appelle ici ? Lourvais, Lourdais ??? », Moi : « Lourmais ! ». Ça n’a pas l’air important pour elle. Je l’entends au son de sa voix. Quelle importance ? Quelle ignorance ! Je me dis à moi-même. Il faut savoir où on met les pieds, se renseigner avant d’interroger et de questionner.
- R3 Sébastien : Mr Secret Défense, il veut bien vous parler mais sous réserve. Civil dans l’armée française. Nous sommes dans le parc d’une usine de fabrication de composants électriques, certainement utilisés pour l’armement. Il est tenu au secret professionnel. Personnellement, je n’ai pas tout saisi, peut-être à cause du vent qui était très fort ce jour-là. J’ai du mal à dégager une problématique de cette rencontre.
- R4 Stéphane : Café du village, arrière court, la pelouse vient d’être planté. Il faut à tout prix éviter de marcher dessus. C’est un gars d’ici, un ancien cheminot. Il nous parle de pierre, de sa famille, de son travail, de l’image dégradé du cheminot syndicaliste. Des querelles de clocher, de l’animosité entre équipes de foot. Il est attaché à cette région. Il est à un juste endroit, un endroit juste. Il a fait son trou. Le soir nous débriefons joyeusement cette rencontre au camping. Le lendemain, Vincent nous apprend que les images de “Stéphane le cheminot” ont disparus.
- R5 Françoise : La désobéissance civile, voilà ce qui ressort de cette rencontre, peut-être à cause de l’actualité. Le maire de Langouet a pris un arrêté concernant les pesticides. Il y a aussi ce mot qui sonne dans ma tête depuis cette rencontre : l’équité. Vertue qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l'injuste. Nous faisons face aussi à la désobéissance des grenouilles dans la marre. Leur chant nuptial envahit l’espace. La nature est en perpétuelle désobéissance.
- R6 Quentin : Je me dis en l’écoutant, il ne pense pas ce qu’il dit. Ce n’est pas possible. Ce garçon est plein de contradiction. On aborde le sujet de l’immigration. Il faut leur laisser de la place mais pas trop, pas trop d’aide, pas trop de ceci, pas trop de cela. Il faut intégrer mais pas trop.
- R7 Loïc : Problème technique, nous n’avons plus de caméra. La batterie est HS. Il nous reste le micro. Rdv avec un tailleur de pierre. Visite guidée de l’entreprise. On essaie à tout prix de faire des parallèles avec notre sujet. Qu'est-ce que le granit à avoir avec la justice ? Mise à part son socle sur lequel on la figure. Ou on la sculpte. Pas grand-chose. La justice est le socle de l’état de droit et celui-ci doit être en granit ? Je ne sais pas.
- R8 Gwenola : Le contraste est saisissant entre cette image bucolique : les berges du canal, les fleurs d’artichaut violacé, les plumes de paons, les enfants en canoé traversant une des onze écluses et cette position ferme et convenue sur la peine de mort. Vous êtes des mères, vous devriez comprendre. On serait surpris si on faisait un referendum sur la peine de mort.
- R9 Jeremy : 4ème jour, problème de vélo. Une de mes roues est dégonflée. Je dois trouver une pompe. J’ai oublié d’en prendre une. Mauvaise organisation. J’ai pourtant investi dans un vélo, une tente, divers ustensiles de camping. Il fait chaud. Je cherche un habitant. Tous ces villages que l’on traverse à une certaine heure de la journée sont fantomatiques. Les habitants sont absents, dormants, invisibles. Il est 14h30. Je happe un retraité qui par chance bricole dans son garage. Sauvé. Il regonfle mon vélo. Il me demande ce que je fais dans la région. Je ne sais pas trop quoi lui répondre. Un film sur la justice, je n’ose pas lui demander si cela pourrait l’intéresser de parler devant une caméra de sa conception de la justice dans un territoire qui est le sien. Je n’ai pas rencontré Jeremy. Je retrouve les autres qui sont entrain de débriefer l’entretien. J’ai l’impression que mon absence est passé inaperçue. Je ne comprends rien encore une fois. Il parle du droit au travail, de justice salariale, de respect du travailleur, de lui donner les moyens... Je pense à ma roue qui je l’espère ne se dégonflera pas une nouvelle fois. Quelle angoisse ! Cette journée va être longue.
- R10 Sandrine : Nous faisons face à une femme qui sort d’un rendez-vous concernant son fils et son avenir scolaire. Ils viennent de vivre une injustice. Elle est dans “l’émotion vive” comme elle dit. Elle nous fait plonger avec elle. Elle a décidé de nous parler parce que justement les gens ne se parlent plus. Elle est dans la lutte. Elle parle d’agir, d’écouter son cœur, croire toujours croire. C’est important ce que vous faites. De prendre le temps de se parler et d’écouter ce que les gens veulent bien dire, raconter leur conception de la justice. Elle nous rend justice. Dans le sens où elle légitime notre recherche.
- R11 Franck : C’est dur de garder son calme quand on fait face à une personne avec laquelle vous êtes en totale opposition. Une impression d’être au cirque, avec ses oies, ses chats et ses affreuses gargouilles, lutins ou farfadets stupides, cachés dans les recoins de son jardin néo franco japonisant. Son discours royaliste et clownesque me donne envie de vomir. Ils jouent un jeu auquel je n’adhère pas. J’accepte bêtement une pièce de monnaie à son effigie. Elle a fini à la déchèterie. J’avais pensé à un moment l’enterrer dans la terre mais ce serait lui faire trop d’honneur. C’est tout sauf un trésor.
- R12 Claude : Personnage sorti tout droit de l’Ile aux enfants, une abeille sur le bout d’un vieux galurin. Un autre clown, vieillissant, plus très marrant, un clown convenu. Il a l’air triste, fatigué de continuer à faire semblant. Ne pas juger, ce n’est pas déontologique de la part d’un enquêteur. Est-ce vraiment nécessaire de le mettre au montage ?
- R13 Agri : Nous sommes aux milieux d’un champ. Un groupe de jeunes maraichers en bio prend le temps de nous parler. Nous avons arrêté la plantation de betteraves ou de poireaux je ne sais plus. Il faut éviter le contre-jour. Un homme et une femme, face caméra. Un autre parle hors-champ. Et il parle beaucoup. C’est plus facile quand la caméra n’est pas braquée sur vous. On parle plus facilement. Le sujet immigration/intégration et “peine de mort” revient sur le tapis. Ils sont plus tempérés.
- R14 Christophe : La fin de la semaine se termine par une rencontre à la maison des morts. La maison funéraire de Guipel. Nous revenons au point de départ, au lieu-dit “La Justice”. Je me dis en écoutant Christophe que la mort est comme l’ultime injustice aux yeux des vivants. Il est juste de mourir, c’est dans l’ordre des choses. Je repense à ces prises de positions sur la peine de mort. Avez-vous déjà souhaité la mort de quelqu’un ? Secrètement ? C’est un pouvoir que nous possédons tous. J’aurais souhaité terminer plus joyeusement cette semaine. Le chemin est encore long.
Coup de cœur : Sandrine et Agri
Souvenir rapporté de ce module : un matelas pliable, enroulable acheté chez Décathlon, comme tout le reste d’ailleurs, vélo, tente, lampe de nuit, gourde, la panoplie du campeur. Investissement personnel de plus de 150 € sur ce module. Equipement jamais réutilisé depuis juillet 2019.
Je viens de créer cette rubrique “relation fantôme” qui consiste à s’auto-interviewer avec la conscience du module que l’on vient de vivre. Ou bien la relation fantôme serait celle qu’on aurait aimé avoir.
Relation fantôme : on aurait pu rencontrer un élu, un maire de village qui a une connaissance de son territoire.