Module #2, Canton de Genève - Ce qui reste ? Ceux qui restent ?
Septembre 2020.
Parcours en vélo électrique. Faire le tour du canton de Genève.
- R1 Henry : un homme à la retraite se promène. On dirait qu’il sort de son lit. Il est d’ici. Il y a du local et du soleil dans sa voix bien que le temps soit à l’orage. Il ne supporte pas l’injustice. Il ne supporte pas cette justice à deux vitesses. Ceux qui ont les moyens d’être bien défendu et les autres. Dans son ancien travail, il se battait pour les droits des travailleurs. Et aujourd'hui vous vous battez contre quoi ? Je n’ai pas eu le temps de lui poser la question. Il faudra que je me la pose à moi-même.
- R2 Les enseignantes : Une école sur la place d’un petit village, adossée à la Mairie. Les montagnes se dessinent au loin. Deux enseignantes nous répondent sur leur temps du déjeuner. On entend les bruits d’une cour d’école. Ce bruit si particulier, ce fond sonore qui mélange rires, cris, conversations, jeux. L’universalité du fond sonore d’une cour d’école. Cela me fascine. Les enseignantes sont toutes les deux issues de l’immigration. “C’est une chance”. Il faut valoriser cette différence. “Quand on pointe du doigt cette différence, elle nous donne plus envie de la revendiquer.” C’est une affirmation.
- R3 David : Le vigneron dans ses vignes. Entouré de toute part par l’extension galopante de l’agglomération. Il s’implante des usines pas très vertueuses. Il est aussi attaqué par le haut. La pollution sonore des avions nous oblige d’ailleurs à faire des pauses dans la prise d’images. Il a eu droit à un moment de répits à cause ou plutôt grâce à la pandémie. Le raisin doit-être agressé. Est-ce que la qualité s’en ressent ? Il lutte de toutes ses forces pour faire du bon vin. Juste du bon vin. C’est un irréductible. Ces vignes font face au clos des pendus. La justice a dû être rendue là-bas aussi. Rendu, pendu, vendu. Mes collègues finissent par lui acheter du vin.
- R4 Caroline : Connaissance de connaissance de Marie-Lis. Il y a beaucoup de bruit. Nous sommes en plein centre-ville. Genève est bruyante. Une ville internationale est bruyante. Les langues se mélangent. Il faut se faire entendre. Caroline parle d’aide sociale, de justice sociale, une aide n’est pas vraiment une aide, elle doit être en partie redonnée, remboursée. C’est une dette. C’est ce qui s’applique dans ce pays. C’est surprenant pour un français. Sa voix fluette est à peine audible. Elle me fait penser à l'une des bonnes fées dans “La belle au bois dormant”. Il faut que cette journée se termine.
- R5 Albert (ami de Fanny) : Ancien professeur d'eutonie à l’ERAC. Fanny est en joie. Elle nous raconte ses souvenirs d’école. Découverte de cette pratique. L’anéantissement de toute tension inutile au geste effectué. Recentrer l'énergie, trouver l’équilibre. Ce qui manque des fois à ce groupe. Des tensions inutiles surgissent des fois. La justice ou plutôt ce sentiment de justice serait inné, il est en nous. Quel bonheur de quitter la ville. Le paysage que nous traversons est pénétrant. Je retrouve un équilibre sur ma monture en pédalant.
- R6 Alexandre : Le géographe. C’est difficile de retenir tous les prénoms des personnes que nous rencontrons. Et c’est pour cela que nous leur donnons des surnoms qui sont souvent liés à leur fonction. Ou bien à un détail du paysage dans lequel nous les filmons. Le géographe est dans son jardin. Passionné et passionnant. Ce n’est pas juste un enseignant. Il réfléchit et pense son sujet. Il nous parle d’engagement, de prise de conscience sur ce qui nous entoure et sur ce qui nous lie. Parfois, nous nous éloignons de notre sujet pour mieux y revenir. Est-ce que le sentiment de justice ne serait pas le ciment de notre humanité ?
- R7 Fabrice : La Suisse n’est pas un Eldorado. Cette phrase est restée. Il rejoint ce que pense Caroline. Vivre en Suisse coûte cher et vous coûtera cher si vous voulez y rester.
- R8 Sos méditerranée : Nous sommes sur le toit d’un théâtre de Genève. Vue à 360 degrés sur la ville. Nous sommes loin de la mer. Nous mettons des heures à nous mettre en place. Ce qui finit par être gênant. Nous faisons face à une femme qui s’est engagée pour venir en aide aux réfugié·es. Ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui traversent la Méditerranée. Elle nous raconte son histoire, ses expériences, la raison de cet engagement. On ne peut être qu’admiratif face à cet engagement. Admiratif n’est peut-être pas le bon mot. Ces rencontres parfois nous positionnent, nous chiffonnent et nous plongent dans une telle ignorance. Cela doit être le but de ces rencontres : réveiller notre propre conscience au monde qui nous entoure. Et j’ai l’impression que ce sentiment de justice est ce point d’encrage.
- R9 Luca Pataroni : Franchement. Mais là ce n’est pas possible. Je suis totalement passé au travers de cette rencontre. Je n’arrive pas à m’accrocher à quoi que ce soit. Je n'ai pas compris ce qu’il disait. J’avais juste envie de m’allonger. Mais quand est-ce qu’il va arrêter de parler ? Désolé Luca.
- R10 Cédric : la place qui fait face à l’ONU est bruyante. Il faut trouver un endroit plus calme.
Ce qui n’empêchera pas mon manque d’attention. Il est tard. Cette journée de vélo m’a totalement épuisé. Je m’excuse auprès de Cédric. Au cas où il tomberait sur ces notes.
- R11 Les paysagistes : Deux travailleurs d’extérieurs, deux gaillards armés de râteau et de fourche. Ils sont français. Encore ! Ils sont en pleine renaturation sur une zone humide près de Genève. Quel mot barbare ! C’est un retour à l'état naturel ou semi-naturel des écosystèmes qui ont été dégradés, endommagés ou détruits par les activités humaines. Cela ne fonctionne pas à tous les coups. C’est une sorte de réparation, de rééquilibrage. Il est difficile de réparer ce que la nature a mis des siècles à créer. Est-ce que la justice peut réparer ? Est-ce qu’elle a cette fonction réparatrice ? On parle bien ici de la justice des hommes.
- R12 Dimitri (élève chef d’orchestre) : Il a réfléchi à la question. Il a préparé cette rencontre. Il expose, cela s’entend à sa voix. Le ton est juste. Tout ceci est intéressant. Il ouvre une brèche sur ce qui est juste. Quelle parallèle faire avec la qualité d’un chef d’orchestre ? Être juste, être dans la justesse. La pluie est arrivée. Il fait froid. Nous n’avons pas de solution de repli. Nous finissons trempés.
- R13 L’homme au tableau : Nous l’avons rencontré par procuration. Seul Vincent était présent. Je ne me souviens plus de son nom. Je l’ai appelé l’homme au tableau. On dirait un faux Vermeer. Lui aussi nous parle d’aide sociale. Ce qui t’a été donné te sera repris, si ta situation sociale et financière s’améliore... C’est à ton tour d’aider ceux qui en ont besoin. Discours libéral.
- R14 Marc Bonnant : Tout le monde connait cet avocat en Suisse et au-delà. La star des barreaux... qu’on nous dit. On le nomme l’avocat du diable. Son CV est impressionnant, il contient des noms peu recommandables. Nous l’avons rencontré aussi par procuration. Et tant mieux. Ne pas juger ceux qu’on rencontre. C’est difficile face à de tels propos. Il est volontairement provocateur. Sa rhétorique est implacable. Il parle de parasites. Doit-on continuer à laisser la place à ce genre de propos? Il faudrait lui présenter le pseudo Napoléon, empereur de sa micro nation en Bretagne Romantique.
Résumé de la semaine : semaine éprouvante qui se termine par un drame (voir « Souvenir rapporté de ce module » ci-dessous.) Justice internationale, justice sociale, justesse. Voici les thèmes rencontrés ici.
Coup de cœur : David, Alexandre.
Souvenir rapporté de ce module : 6 points de sutures. Accident de la route. On rapporte les vélos de location. Il est 18 heures. On est en retard. Il pleut. Chaussée glissante. On est en mode turbo. Je dérape sur la chaussée et je vais m’encastrer dans un échafaudage. Tout le monde s’attroupe autour de moi. La police s’est arrêtée pour voir si tout va bien. Ça va. Rien de cassé. Une petite douleur au bras droit et je pense que je vais avoir un hématome à la jambe droite. Je remonte sur le vélo avec l’impression que tout va bien. On rend les vélos. Je me rends tout de même dans une pharmacie. Je soulève la manche de ma chemise. Marie-Lis et Fanny se liquéfie. Tout va bien se passer. Urgences, médecin, 6 points de sutures. La facture est salée, 250€. Remboursé à hauteur de 25 pourcents. Ça me coûte. Ces modules me coûtent. Je pleure. La nuit sera douloureuse et pleine d’angoisses. J’appelle au secours. Mon hématome se propage sur toute la jambe. Rose, bleu, violet, noir, marron, jaune... Un continent se dessine. Rentrer. Je veux juste rentrer.
Relation fantôme (relation que nous aurions aimé obtenir) : un banquier. Nous avons pourtant essayé en nous rendant dans le quartier des banques. Personne n’a daigné nous parler. Refus sur refus. Pas le temps, secret bancaire, ma fonction ne me permets pas. Tant pis.