Module #3, Schaerbeek - Ce qui reste ? Ceux qui restent ?
Juin 2021
Nous sommes invités par le théâtre de la Balsamine pour cette semaine d’immersion. Parcours à pied de la commune de Schaerbeek. Tenter d’en faire le tour.
- R1 Amandine : Première personne que nous rencontrons travaillant dans le milieu carcéral. Peut-on repenser le système juridique pénal ? Réfléchir à la question de l’enfermement. Existe-t-il d’autres façons, d’autres manières de punir une personne, d’infliger une peine, d’apporter une conséquence à un fait ? Comme le dit si bien Amandine. Qu’est ce qui se fait ailleurs ? Il faut trouver du sens à cet enfermement, se donner les moyens pour la suite, l’accompagnement du détenu. Il y a un manque cruel de moyens. Se mettre à la place d’un juge. Nous avions déjà abordé cette problématique en Bretagne Romantique. C’est compliqué parce qu'il pointe ou plutôt titille ce sentiment très personnel que nous avons avec la justice. C’est quoi l’enfermement ? Je me souviens d’un spectacle que j’ai joué au parlement de Bretagne à Rennes. C’est la Cour d’appel de justice. J’ai pour loge une salle de délibération. Une grande table en bois entourée d’une vingtaine de chaises. J’enfile mon costume. Je suis devant un paperboard ou je lis des informations sur la vie d’un homme qui vient d’être condamné. Son parcours de vie, la raison de ce procès, le meurtre commis. C’est sordide. Je suis mal à l’aise de rentrer dans cette intimité. Comment peut-on laisser ces informations à la vue de tout le monde ? Sa vie ne lui appartient plus, j’ai l’impression. Et à coté un tas de chiffres et d’opérations que je ne comprends pas. Au bout d’un moment je réalise que ces opérations correspondent au calcul de la peine que le condamné encourt. Sur quoi sont basés ces chiffres ? Pensée du jour : La justice, l’appareil judiciaire, n’éprouve pas de sentiment. La justice est aveugle mais surtout sourde à la peine, à la douleur des victimes.
- R2 Nezha et R3 Amina : Je ne suis pas présent pour cette deuxième journée. Crise de nerf. Aucune envie d’aller marcher des heures et quémander dans la rue si les gens veulent bien nous accorder un moment pour nous parler de leur conception de la Justice. Quel sens donner à tout cela ? Je reste dans notre logement. Je regarde par la fenêtre partir mes camarades. En face de moi un gamin et sa sœur s’amusent à cracher par la fenêtre sur les passants. Ils ne vont pas à l’école ces gamins ? Transcription d’Amandine. J’imagine la vie dans une prison mais très vite cette idée m’emplit d’angoisse. Des fois on ne peut pas se mettre à la place de. Quelle prétention ! J’aimerais seulement me mettre des fois dans la tête de Vincent pour comprendre cette recherche sur le sentiment de justice.
- R4 Jamie Lee : Elle travaille dans une maison médicale derrière le théâtre de La Balsamine. Théâtre qui nous accueille pour ce troisième module. Nous la filmons dans la rue sur le trottoir. Elle s’occupe du coté social, je crois. Assistante sociale ? Quand on lui pose la question "si je vous dis le mot justice... à quoi cela vous fait penser ?" elle commence par décrire cette image de la justice : une femme aux yeux bandés portant un glaive et une balance. Et là je me mets à l’imaginer avec cette panoplie. Déguisée en Madame Justice. Les bruits de la rue, les passants, les voitures. Rester concentré. Effacer cette image.
- R5 Xavier Winkle : Figure politique de Schaerbeek, engagé dans la vie de quartier. Patron d’un bar. Nous le rencontrons pour la deuxième fois car les images du premier entretien ont disparues. Il nous reparle de son combat contre Roger Nols, le Le Pen de la Belgique, ancien bourgmestre de Schaerbeek. Il nous donne des exemples d’actions menées par Nols. Il voulait interdire toutes les inscriptions en langues étrangères sur les magasins. Il avait créé des guichets séparés pour les flamands à la maison communale et des guichets pour les immigrés. Ces histoires belges ne sont pas très amusantes.
- R6 Soufiane : Nous avons appris que le quartier et surtout le parc devant le théâtre était le terrain de jeu de certains jeunes. Ils font la loi à ce qu’il parait. Le rendez-vous se fera ici dans le parc. Je décide de laisser mes collègues. Je suis fatigué, j’ai mal aux pieds. On vient de marcher des heures. J’ai surtout peur de me confronter ou d’avoir une altercation avec ce groupe de jeunes. Je découvre Soufiane en faisant la transcription de la rencontre. Il est gardien de la paix. Il est le lien entre les gens du quartier. Il est ici pour parler, pour désamorcer, pour écouter les doléances des habitants. Il a une vue d’ensemble et une connaissance du quartier et de ses habitants. Le lendemain on remarque ou on découvre tagué sur le mur du théâtre cette inscription “Sofiane fils de pute” ou bien “Sofiane suce ta mère”. Ça doit être un message de considération.
- R7 La Gerbe : centre qui accueille des personnes en difficultés psychiques. Nous avons la chance de pouvoir réunir quatre personnes. Trois patients et un éducateur. Ils nous font part de leur parcours de vie. Chaotique. Il ne s'en cachent pas. Ils ont une facilité à se raconter. Ils se battent contre l’injustice quotidienne à laquelle ils font face. La différence est excluante. Arrive cette question de Fanny venue d’un autre monde : "Et vous comment allez-vous ?" Elle s’excuse même d’avoir l’idée de poser cette question après tout ce que l’on vient d’entendre. Mais je comprends cette question. On est en droit de demander à des gens qui ne vont pas bien si aujourd'hui c’est mieux qu’hier.
- R8 Bernard Mouffe : Nous dévions de notre protocole. Nous sortons de Schaerbeek. Il y a une raison valable. Rdv devant le palais de justice. Nous sommes accompagnés de cette femme qui travaille au théâtre et dont je ne me souviens plus du prénom. Il faut le voir pour le croire. Le bâtiment est entouré d’échafaudages. Ils font désormais parti du palais de justice. Historique. Visite privée de courte durée car nous ne pouvons entrer à cause des restrictions sanitaires. La Justice est inaccessible. L’impression d’être l’homme devant la porte de la loi. Parabole de Kafka. Nous avons un aperçu de l’intérieur. D’ailleurs Orson Welles devait y tourner “Le procès”, adaptation d’un roman toujours de Franz Kafka. Il y a beaucoup d’ironie dans la voix de Maître Mouffe. Il se dit que l’état de ce bâtiment est représentatif de la Justice en Belgique. Et moi mon état est celui de quelqu’un qui dit objection, ça suffit pour aujourd’hui. À préciser mon objection. Note après lecture.
- R9 Christophe et Sarah : Fin de journée, nous avons rendez-vous pour l’apéritif et un diner suivra. C’est gentil mais je n’ai aucune envie de faire d’efforts de sociabilité ni de mondanités. Lui est avocat, renommé (il défend Assange entre autres) et elle, ancienne avocate, désireuse de devenir comédienne. Bon courage. La conversation est axée sur la Justice Internationale. Mes compétences juridiques ont du mal à dépasser les frontières. Nous rentrons à pied. Il est minuit passé. Une heure de marche nous attend. Mes camarades sont bourrés. J’ai envie de les tuer. L’ironie du sort. Ce serait dommage que cette aventure se finisse au tribunal. Trois français acteurs/enquêteurs assassinés par leur camarade à Bruxelles. Après une soirée arrosée et le refus de rentrer en taxi, l’un des quatre acteur/enquêteur étrangle, noie et assomme avec un pied de caméra ses camarades.
- R10 André Nayer : Dernière rencontre de cette semaine belge au parc du cinquantenaire. Encore une entrave à notre protocole. Nous sommes de retour dans le quartier Européen. Antigone n’est pas loin. Ne serait-elle pas la figure parfaite de cette opposition entre justice et injustice ? Le sentiment de justice est indissociable du sentiment d’injustice. Qui veut la Justice, vit l’injustice. Ou bien qui vit l’injustice, veut la justice. C’est une matinée ensoleillée. L’homme que nous écoutons à quelque chose de lumineux. Il est habité. L’impression d’être devant un sage. Il en connait un rayon. Il est juriste. Il dit : “c'est alors reconnaitre que l'être singulier que je suis est exactement l'être singulier que chacun est et donc à aucun moment il ne doit y avoir un préjugé, un pré-sentiment que je vaux plus ou moins que l'autre. Nous sommes tous égaux à cause de ça, de cette singularité. Et la difficulté d'une société humaine et la non réalisation de la justice tient aussi à cette méconnaissance, à ce mépris que l'on peut avoir pour un vivant qui est particulier à un moment donné.” Rencontre de plus de 2h30. André nous invite à boire un verre. Au revoir Schaerbeek.
Résumé de la semaine : se rendre plus disponible pour les prochains modules.
Souvenir rapporté de ce module : aucun. Ah si : le sourire d’Amandine, la sagesse d’André, les désaccords gênants entre Sarah et Christophe, l’ironie de Bernard, l’authenticité des personnes de La Gerbe, le réalisme de Soufiane, les erreurs politiques de Xavier, Jamie Lee déguisée en Justice, le regret de ne pas avoir croisé le regard de Nezha et Amina.
Relation fantôme : S’auto-interviewer pour mieux comprendre le sujet.