La justice doit être équitable

Type de document
entretien
Lieu·x
Bretagne Romantique
Thématique·s
JUSTICE SOCIALE, JUSTICE PÉNALE
Date
juillet 2019
Auteur
Françoise Roussillat

Nous rencontrons Françoise le 3 juillet 2019 au bord d’un étang pas loin de la maison des services de Saint Domineuc dans laquelle elle tient une permanence juridique. Lorsque nous circulons en Bretagne romantique pour notre premier module, « les contours du sujet », Françoise est la première personne que nous rencontrons qui travaille dans l’institution judiciaire en tant qu’ancienne avocate. Nous essayons de faire des liens entre ce sentiment de justice, sur lequel nous avons échangé avec les premières personnes rencontrées et qui place ce sujet de la justice dans l’intimité de chacun et l’institution judiciaire qui ouvre le sujet à la société dans laquelle nous vivons.  

Vincent Collet 
Est-ce que le système juridique dans lequel on évolue, influe sur la façon dont les gens ressentent la justice, voire ce sentiment de justice, cette conscience de la justice ? Est-ce qu’il y a un lien entre les deux ?
Françoise Roussillat
Il y a forcément un lien. Les gens s’en rendent compte quand ils sont personnellement confrontés à l’institution, en dehors de ça, il n’est pas sûr que les gens soient conscients de cette situation. Mais c’est vrai dans tous les domaines, quand les gens ne sont pas concernés, ils ne se rendent pas compte de ce qu’un système ou une institution peut porter préjudice à la collectivité. Aujourd’hui si on faisait un referendum d’initiative populaire sur la peine de mort, je crains beaucoup qu’une majorité soit favorable à la peine de mort. Parce qu’on est dans un système qui médiatise beaucoup, qui dramatise, qui passe en boucle des faits divers, qui sont certes très condamnables, mais donnant l’impression que dans la justice, il n’y a que ça.

On est dans un système où tout est question d’éducation, de culture ce qui est vrai dans tous les domaines mais la médiatisation orientée des faits divers qui les présente comme quelque chose qui est un symptôme de notre société, hors des faits divers il y en a eu à toutes les époques, mais quand il n’y avait pas la télévision, il n’y avait pas toute cette médiatisation. C’est pour ça qu’il y a la conscience individuelle et collective, c’est quoi l’esprit de justice ? La justice est-ce que c’est l’équité, est-ce que c’est la vengeance ?

Le droit n’est pas toujours synonyme d’équité. La meilleure preuve, c’est que la procédure pénale est une procédure inquisitoire et que la défense est exclue de la recherche de la vérité, donc la balance penche dés le départ. Même si on a le droit d’aller en garde à vue, mais il ne faut pas se leurrer, on donne une clope, on explique comment ça va se passer mais on n’est pas dans une vrai défense. Au niveau civil aussi, vous pouvez avoir un droit qui ne va pas donner d’équité au moment du jugement. Je vais donner un exemple d’une affaire que j’avais en droit commercial où une famille tenait un garage, le père artisan crée son garage en entreprise individuelle et puis ces fils grandissent, ils les associent et montent une SARL. Donc il était en location, et il n’avait pas prévenu le propriétaire du changement de statut de son entreprise. Le propriétaire meure et ses enfants héritent du bâtiment, saut que le bâtiment est en bord de mer pas loin de la Baule donc évidemment le bon plan c’est de virer le garage et de vendre à un promoteur. Alors ils cherchent et ils trouvent la faille la SARL, n’a pas été notifiée par lettre recommandée au propriétaire donc application de la loi et de la jurisprudence, résiliation du bail commercial. Sauf que le propriétaire de son vivant avait enregistré les chèques au nom de la SARL. Pour la résiliation de baux commerciaux c’est le tribunal de grande instance qui est compétent et non le tribunal de commerce. Et donc moi j’avais et le droit et la jurisprudence contre moi et une famille qui va perdre son outil de travail et qui n’aura pas droit au chômage puisqu’ils sont tous artisans associés. Alors j’ai expliqué au tribunal de grande instance que : « oui le droit est contre moi et la jurisprudence aussi mais vous avez une possibilité c’est de juger en équité », et ils ont jugés en équité et ils ne les ont pas virés. C’est pour dire que le droit n’est pas toujours compatible avec l’équité mais la justice doit être équitable, et là elle l’a été.

Voilà, pour ce qui est de la vengeance, on est plus sur le terrain pénal. Qu’est-ce qu’on entend ? Quand on a un enlèvement d’enfant, qui est assassiné, on entend des cris de vengeance. « Si c’était mon enfant il n’y aurait pas de jugement. » Mais la justice n’est pas vengeance, elle prend le pour, le contre, les éléments à charge et les éléments à décharge. Et qu’est-ce qui dans ces éléments doit emporter la conviction de la culpabilité et s’il y a une conviction comment est-ce qu’on va adapter la sanction pour protéger la société. La vengeance c’est perpétuité, si ça vaut 10 ans pourquoi mettre perpétuité ?

C’est compliqué, parce que la justice elle est rendue par des hommes aussi. Et on voit bien que dans les affaires qui défraient la chronique, il y a tous les médias, il y a des gens qui s’expriment sur les plateaux de télévision, les experts qui vont dire qu’attention on rappelle tout le temps le principe de la présomption d’innocence mais on est en train de dire qu’il est forcément coupable, on va l’expliquer scientifiquement, psychologiquement. Et quand les jurés arrivent, ils ont déjà entendu tout ça et donc leur conviction est forcément altérée, ils ne sont pas forcément indépendants. Tout ça c’est une réalité quand on est au prétoire aux assises. On est sur un ring de boxe et il faut, évidemment quand les faits sont reconnus et qu’il faut juste travailler sur la peine, c’est presque du velours, mais quand les faits sont contestés et qu’il faut plaider un acquittement parce qu’on a la conviction que la personne doit être acquittée parque le faisceau d’indices graves et concordants n’est pas complètement établis par le ministère public, là c’est vraiment le match de boxe. C’est très compliqué d’expliquer aux jurés, qu’ils doivent jugés en fonction des éléments que la défense apporte le jour de l’audience.

Marie-Lis 
Est-ce possible que chacun se sente concerné par la justice ? Pourquoi la justice peut paraitre si éloignée ?
Françoise 
Déjà dans l’institution, il faut démocratiser l’accès la justice. Pourquoi ça fonctionne comme ça parce qu’il n’y a pas un égal accès au droit. Commencer par-là, donner la possibilité aux gens d’avoir accès à leur droit, qu’on leur explique, et à leur défense de manière égalitaire. Déjà là, à partir du moment, où on estime que chacun à droit à la défense et à accès au droit, on est mieux armé pour avoir droit à la défense, on est mieux armé pour éviter le pépin. Parce que là qu’est-ce qui se passe ? C’est que les gens ne connaissent pas leur droit alors il y a des efforts de fait, sur le territoire avec la maison des services où il y a des avocats qui viennent et font des consultations. Mais ce n’est pas suffisant parce que c’est une orientation, quelqu’un vient avec tel problème et on lui dit « et bien je vous conseille d’aller voir un avocat car votre affaire vous pouvez la mener devant le tribunal d’instance ou de grande instance », c’est tout, on ne peut donner que des conseils, on n’étudie pas un dossier. Pour étudier un dossier, il faut avoir accès à l’avocat, il faut avoir les moyens, et c’est la responsabilité d’une société que de permettre cet égal à accès à la défense. Si les avocats étaient mieux rémunérés pour prendre les dossiers d’aide judicaire, ils seraient plus enclins à prendre ces dossiers, parce qu’on n’est pas obligé, donc il y a des cabinets qui n’en prennent pas. Voilà donc on évite le pépin en informant les gens, quand ils commencent à avoir des difficultés, ils doivent avoir la possibilité de se renseigner. Les tribunaux seraient peut- être moins engorgés. Parce que pourquoi les tribunaux sont engorgés parce que les gens sont tellement démunis que le pépin il arrive et voilà. En plus, les gens auraient aussi la possibilité d’être offensifs aussi, d’agir en justice. Parce que là qu’est-ce qu’on voit beaucoup ? Des gens qui sont en défense, alors qu’ils pourraient agir avant et être demandeur plutôt que défendeur devant un tribunal. Donc ça c’est le premier point.

Alors après dans la conscience collective, c’est plus problématique parce que là, on est dans une société qui évolue de manière très inquiétante et que tous les discours radicaux on les entend de plus en plus, c’est pour ça que je disais tout à l’heure qu’il y aurait un referendum d’initiative populaire sur la peine de mort, une majorité qui défendrait la peine de mort. Certains diraient, meurtre d’enfants peine de mort et d’autres seraient pour la peine de mort dans tous les cas. Et ça, ça me pose question, c’est aussi une question d’éducation et de culture mais il suffit d’entendre les commentaires ou les débats, c’est impressionnant ce qu’on entend, c’est une manipulation de l’opinion. Comme je le disais tout à l’heure, justice n’est pas vengeance et quand on entend dans certains dossiers, les réquisitions, on à l’impression que l’avocat général qui représente les intérêts de la société réclame vengeance, ce n’est pas systématique mais quand même moi je l’ai vécu. Dans la conscience collective, la justice est plus perçue comme étant un moyen de vengeance plutôt qu’un moyen de préserver les intérêts de la victime, les intérêts de la personne qui a commis un acte répréhensible et puis les intérêts de la société. Ce sont ces trois intérêts là qu’il faut essayer de manœuvrer en équité pour que tous ces intérêts soient préservés : la société, la victime s’il y en a une et le prévenu de manière à ce qu’il comprenne que la sanction va l’aider à rebondir plus tard parce que sauf à prendre perpétuité de manière complètement incompressible, on sort un jour de prison donc il faut, de la même manière que si au civile on est liquidé, il faut aussi se reconstruire. Donc moi je suis inquiète des propos que j’entends çà et là dès qu’il y a un fait divers, des propos inquiétants et qui me terrorisent parfois.

Fanny 
J’avais envie de continuer sur ce fil là mais avec une question plus intime : ce métier, d’avocate, d’où s’est venu et comment ça a évolué ? Comment es-tu arrivée à faire ce métier ?

Ce n’était pas une vocation, ce n’est pas non plus arrivé par accident. J’avais pris une voie qui ne me correspondais pas, je travaillais au contrôle médical de la sécurité sociale, je me suis mariée, j’ai eu mes enfants, et puis bon je me suis engagée syndicalement, j’étais déléguée du personnel et ça ne m’a pas correspondu vraiment, donc j’ai pris un congé sans solde. Mais bon il y avait un problème il n’y avait plus qu’un salaire, et même dans les années 70 en plein les 30 glorieuses, ce n’était quand même pas évident. Donc j’avais un copain qui venait de s’installer comme avocat, il m’a proposé de travailler dans son cabinet comme secrétaire, du droit je n'en avais pas un bon souvenir. Et puis je me suis intéressée et Pierre m’a dit si tu veux reprendre des études, inscris-toi à la fac. J’ai réfléchi et je me suis inscrite à la fac en travaillant à mi-temps avec Pierre et en élevant mes enfants, et puis j’ai réussi mes études. Et ce qui m’a séduite c’est la pratique professionnelle, c’était quasiment la naissance du syndicalisme des avocats de France auquel appartenait Pierre et auquel j’ai appartenu ensuite, qui était à l’époque un syndicat de classe, il faut dire les choses comme elles sont, le locataire contre le propriétaire, le salarié contre le patron, la personne contre la banque, vraiment c’était un choix de défense, ce syndicat à fait progresser la législation dans beaucoup de domaines. Je me suis associée avec Pierre et on a pratiqué ce genre de défense. Donc on était du côté de la barrière le plus compliqué, parce que difficulté d’avoir accès à la preuve, les trois quart du temps elle est judiciaire, il faut payer quand même les locaux, le secrétariat, c’est galère quand même, quand on est de ce côté de la barrière on ne fait pas fortune mais c’est passionnant surtout quand on arrive à faire évoluer et la jurisprudence et les textes de lois. Et puis, sur la fin de carrière je me suis plus passionnée pour le pénale, je parcourais les cours d’assises de France et j’allais dans les procédures où il y avait un risque d’erreurs judicaires. J’ai eu pas mal d’acquittement quand même, j’ai aussi perdu des dossiers parce que c’était extrêmement compliqué et je me suis épuisée physiquement, mais bon ça ce n’est peut-être pas utile de la mettre dans le reportage.