Etape 2/11 - Zone critique : Tokyo, Maison franco-japonaise
Intrigué par la faible proportion du recours au droit au Japon et l’histoire de sa transformation radicale au 19° siècle, je me rends au Pays du Soleil levant où il est encore question de coutume et de tribunaux locaux basés sur la conciliation. S’agit-il de pratiques qui permettent une administration en phase avec l’environnement local, plus adaptées aux particularismes, finalement plus organiques ? Quelle que chose résiste cependant à cette interprétation. D’où vient cette codification de la coutume locale prétendument source du droit et à la fois ancrée dans les pratiques de quartier, de village ? Je découvre au fil des rencontres et des lectures que la réalité est moins simple, qu’il s’agit « d’une tradition inventée », remaniée et figée dès 1875 au profit de l’administration et des élites modernisatrices. La coutume n’est que l’envers de la loi qui se fabrique sur le modèle occidental mais cherche sa légitimité dans une ancienneté reconstituée. Ce que je découvre, c’est comment une enquête immense pratiquée à la fin du 19° siècle par la bureaucratie, s’est muée en instrument de recensement, de cadastre, de statistique et a figé des usages anciens moins pour leur pertinence que dans que dans un désir de contrainte et de contrôle de l’état.
L’idée que la vie sociale dépend d’un système de règles dans le cadre restreint de la communauté continue d’exercer une réelle pression sur ces écosystèmes sociaux. Mais ces dernières années, l’attention de l’opinion publique japonaise à ce que vit réellement ses concitoyens, ses voisins, semble croitre, la possibilité de revendiquer, de dénoncer les inégalités s’affirme, et le droit s’impose comme un nouvel outil.
Lors de notre entretien, Adrienne me parle de l’évolution de la place du droit dans la société japonaise et de l’émergence des problèmes publics. Sur l’Archipel, l’idée de la conciliation est très présente et raconte une manière de vivre ensemble qui semble éviter le conflit. Mais comment concilier justement la nécessité du dialogue local et la nécessaire problématisation des questions sociales, écologiques et économiques ? Depuis 2009, la société japonaise a semble-t-il le sentiment d’avoir réellement « découvert » les inégalités : la pauvreté, notamment, au travers du livre de Yuasa Makoto Contre la pauvreté au Japon. Cette prise de conscience a fracturé un consensus et réinterroge la manière de cohabiter.