Episode 3/13 - Journée 2
Ce deuxième soir, nous serons accueillis par Catherine et Michel. C’est un couple qui possède une ferme, connu pour son hospitalité, mais je suis tout de même très agréablement surpris de leur disponibilité et de leur enthousiasme à nous recevoir. Il se trouve, ironie de l’histoire, que cette ferme, Palmyre, où je n’ai jamais mis les pieds, était celle de mes arrière-grands-parents, paternels cette fois. Ils y étaient en fermage. Le hasard fera qu’après avoir évité mon village d’origine je remonte un plus loin dans celles-ci et dormirai le soir même de mon évitement dans cette chambre où peut-être me dis-je en me couchant est né mon grand-père.
Ces grandes propriétés, métairies ou affermages se sont transmises au fil des générations, changeant parfois radicalement de familles, comme ce fut le cas ici. Michel lui-même est en transmission et cédera d’ici quelques mois son activité et les lieux pour que l’activité continue.
Le lendemain, après une visite de l’étable et des bâtiments nous discutons avec lui en plein milieu d’un champ. Commerçants, employés dans les services, agriculteur… La figure de l’agriculteur, souvent masculin, est essentielle dans ce bocage. Michel nous le dit, les paysans que l’on peut rencontrer sont des victimes d’injustice, dans le sens où ils sont réduits à un compte en banque en dessous de 0, dans un métier où la dimension humaine est oubliée. Il nomme l’écoute – pour essayer de remettre les gens debout, de retrouver une dignité, afin qu’ils se sentent justement exister. Encore une fois la révolte pointe - ce qui serait plus juste c’est que les gens arrivent à vivre de leur travail, il est insupportable que des gens qui travaillent n’arrivent pas à trouver de logement et qu’en face d’autres soient de plus en plus riches, sans apporter à la collectivité plus de choses, si ce n’est qu’ils pèsent plus lourd que les autres en terme d’argent et pas en terme de richesses humaines – l’écart entre les salaires toujours, et le besoin de faire vivre les lieux collectifs, dans l’idée de rendre service aux autres sans gérer soi-même son plan de carrière, les même revendications à l’échelle locale vis-à-vis des élus que ce qui se dit sur les ronds-points.
Parce que je suis originaire d’ici, je perçois les strates, au sortir des années 80, en vivant à la campagne entouré de fermes, je percevais ce que nous dit Martial, un ancien rencontré sur le bord d’une route qui nous dit que tout était différent – d’ailleurs même là où on est, là, c’était pas un chemin c’était de la gadoue il n’y avait rien d’empierré, toutes les cours, là, il n’ y avait rien de fait, c’était des arbres que vous aviez là, des ormes, c’était des haies, c’était des mares d’eau – tout est changé – par rapport à notre temps c’est plus du tout la même chose – c’est de A à Z. Il y a de l’amélioration aussi, c’est obligé – dans le principe de maintenant les gens ne pourraient plus vivre comme avant on a vécu – d’ailleurs il n’y avait pas de lumière, c’est ça le principe puisqu’elle a été mise en 58.
En sillonnant ces routes à vélo, j’éprouve un rapport ambivalent, entre reconnaissance des paysages, des accents, des visages, des attentes et des modes de vie et volonté de m’échapper. Je perçois la modernité qui recouvre le passé qui ressurgit, me laissant je ne sais pourquoi encore, un goût amer.
(…)
À l’issue de ces quelques jours nous présentons une première vidéo dans la salle d’attente de la Maison des services et proposons une lecture à quatre voix des différentes paroles entendues aux quelques salarié·es présent·es. L’échange est riche et je m’aperçois que la restitution de ce que nous avons entendu est essentielle. Comment donner toute la place à ces personnes rencontrées ? Je réfléchis à la forme que devra prendre ce projet et progressivement une idée apparait : ne pas donner à voir ces personnes en plan de coupe mais bien dans toute leur hauteur dans une installation où le spectateur pourra les écouter à échelle 1. Nous effectuons différents tests avec la scénographe, pour que la méthode de tournage corresponde à la taille de l’image projetée. Nous choisissons finalement de positionner la caméra à hauteur de guidon, et d’utiliser un repère au sol qui permettra de conserver la même distance pour chacun de nos interlocuteurs et de savoir où nous placer en tant qu’intervieweurs pour ne pas apparaître dans le cadre, mais aussi pour faire oublier que nous sommes en train de filmer et former un cercle de parole, debout. Nous partons aussi avec plusieurs téléphones qui nous obligeront à une vision à 360°, autant d’images qui alimenteront le film réalisé en simultané pour trois écrans.