Episode 11/13 - L'article
5 mai 2018, un an auparavant.
Je lis le journal du week-end et reste stupéfait par l’article que je découvre ; Pourquoi telle histoire vous semble plus familière qu’une autre ?
J’ai toujours eu une attention particulière à l’évolution de la situation politique en Nouvelle-Calédonie, surement parce qu’en CE2, Olivier était arrivé dans ma classe et venait de Nouméa. Je les enviais lui et sa soeur d’avoir vécu aussi loin, ils semblaient aimer leur île mais en parlaient peu. Si mon calcul est bon, c’était en 1989, probablement au lendemain de l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou. Mais peut-être que ces deux histoires n’ont aucun lien. Cet article convoque en moi ce que je cherche à comprendre au travers de ce projet sur la justice. Existe-t-il d’autres manière de traiter le règlement des conflits ? De meilleures que d’autres ? Si je parviens à les saisir, peut-être comprendrais-je mieux ce qui nous constitue ici, le système dans lequel nous vivons.
À la lecture de cet article[1] qui relate les commémorations des évènements de 1988 et qui détaille le chemin du pardon entrepris entre les communautés, je réalise qu’au sein de la République française, soit disant indivisible, co-existent de fait à 22000km plusieurs systèmes juridiques. Et lorsque la justice civile n’a plus les mots, c’est ici la justice coutumière qui permet la réunification, c’est certainement cela qui m’interpelle. Ce que je comprends de cette histoire, que j’apprendrai un peu mieux plus tard, c’est que suite à l’attaque d’une gendarmerie deux jours avant l’élection présidentielle de 1988 par des indépendantistes kanaks refusant le statut «Pons » qui leur était défavorable, la prise d’otage qui s’en suit dans la grotte d’Ouvéa, les 21 morts de l’opération « Victor » dont dix-neuf indépendantistes, les accords de Matignon signés par Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou 50 jours plus tard, et l’assassinat exactement un an après de Jean-Marie Tjibaou et son bras droit, Yeiwéné Yeiwéné, lors de la cérémonie de levée de deuil des 19 de Gossanah par un fervent partisan de la kanaky indépendante, il aura fallu 15 années pour tourner la page. Dix ans après cette tragédie qui laissent traumatisées des familles, des clans, la Calédonie toute entière, le colonel de gendarmerie d’Ouvéa et le prêtre qui avait officié lors des funérailles en 1989, organisent avec le pasteur protestant de l’île une rencontre entre habitants et gendarmes à l’église Saint-Joseph d’Ouvéa. Sauf que cette cérémonie et coutume de pardon se verra retardée par l’arrivée en hélicoptère du Haut-commissaire de la République et l’épouse d’un gendarme tué qui souhaitaient se joindre à la réconciliation. Au-delà du symbole et de l’entame d’un chemin propre à la coutume kanak qui verra son apogée en 2004 comme nous le racontera quelques années plus tard Emmanuel, l’un des fils de Jean-Marie, je prenais conscience qu’il existait un autre type de droit, coutumier, qui pouvait prendre le relai et proposer d’autres solutions à une impasse conflictuelle. Et cela dans la République française jacobine. En lisant cet article, je pleure et je réalise que j’aimerais aller là-bas, rencontrer, entendre.
L’idée d’expérimenter une forme de droit comparé, pour mettre en perspective les différentes traditions juridiques commence à poindre. Je tente une candidature pour une résidence artistique in situ à Copenhague, qui me permettrait d’aller interroger les habitants de ce pays, l’un des plus heureux au monde. J’imagine que si la langue est un problème, je pourrais toujours inventer un jeu de carte pour communiquer. Ce n’est absolument pas ma spécialité, mais cela peut convaincre les organisateurs de m’accueillir, je sais qu’une fois sur place je m’en sortirai. Ma proposition convainc presque, mais au dernier moment ils me préfèrent une autre artiste.
Je réfléchis à quel autre moyen de rencontre je pourrais engager, et très concrètement à une autre résidence artitistique capable de m’accueillir. Depuis trois mois, l’affaire Carlos Gohn passionne les médias, et le système de la garde à vue y est décrié depuis l’étranger. Je me rappelle que l’Institut français propose une résidence au Japon, à Kyoto et avant d’aller plus loin dans toute démarche, je me documente sur l’histoire du droit au Japon. Lors de la restauration Meiji en 1868, le gouvernement japonais sent que pour se défaire de la tutelle et des traités inégaux imposés par les européens qui ont forcé l’ouverture du pays depuis 10 ans, ils doivent adopter les codes des occidentaux. La common law etant jugée trop complexe pour être codée rapidement, c’est en se basant sur les droits allemands et français que le japon promulguera en moins de 20 ans le code pénal, la Constitution, le Code de procédure, le Code civil etc.[2] Cependant la conciliation, basée sur la coutume a demeuré longtemps préférée. Là aussi la coutume. Celle qui permet la médiation, au plus près, mais qui peut-être maintient les systèmes en place ?
Je classe ce dossier sur l’ordinateur de mon bureau dans l’attente de la publication des dates de candidature pour une hypothétique résidence au Japon.
[1] En Nouvelle-Calédonie, le long chemin du pardon : https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/05/04/en-nouvelle-caledonie-le-long-chemin-du-pardon_5294253_823448.html
[2] Awaji Takehisa. Les Japonais et le droit. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 28 N°2, Avril-juin 1976. pp. 235-250