La différence
Nous rencontrons Sandrine sur la place du village de La Baussaine, elle a un fils en ITEP (Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique) qui essaye d’intégrer un parcours scolaire normal en MFR (Maison Familiale Rurale). Elle vient de rencontrer la directrice pour une première approche et le rendez-vous a été catastrophique, « les gens ne se rendent pas compte on parle beaucoup d’inclusion mais on en est loin », elle est sous le choc et nous raconte sa conception de la justice à chaud.
- Sandrine
- Voilà mon état d’esprit tout de suite. On est dans un monde très violent, au niveau des mots et il faut résister. Et quand je rencontre des gens comme vous dans l’immédiat et dans la recherche ça me parle. À cause de toutes ces difficultés, on s’est beaucoup renfermés sur nous, on évite les contacts sociaux, on a trop l’habitude du rejet, mais malgré tout on a foi, on a foi en l’humain et c’est pour ça que j’ai accepté de discuter avec vous. Là on est dans l’émotion vive.
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- Sans entrer trop dans votre intimité, vous parliez de « résister » et donc vous faites face à ces difficultés que vous vivez, comment vous résistez ?
- S.
- À partir du moment où on a des enfants on est obligé de rester, d’être dans un certain optimisme et de les porter vers l’avant et on ne peut pas rester sur ces échecs. Au contraire on leur fait voir que malgré toutes ces difficultés on s’en sortira, peut-être différemment des autres mais on s’en sortira et on s’en sortira encore plus fort, différent, ce n’est pas grave, au contraire c’est la différence qui fait cette beauté du monde. À côté de ça je me bats pour plein d’autres choses, pour les arbres qui sont abattus partout, ça c’est injuste. On a eu des chênes, des châtaigniers de plus de 100 ans qui sont tombés, on a été à la mairie, ils nous ont dit qu’on ne pouvait rien faire. J’ai interpellé l’agriculteur, il m’a dit ça ne vaut rien c’est du châtaignier. Et puis bizarrement je suis tombée sur un petit article qui disait qu’il y a une centaine d’années le bois de châtaignier avait sauvé plein de régions, il servait à chauffer, à nourrir les animaux et les gens avec la farine et non le châtaignier ne sert pas à rien. Et là c’est pareil, il y a un massacre, il y a quelques résistants et il ne faut pas lâcher. On voit tellement de choses, on est tellement entouré de bêtises et de choses violentes. Mais à côté de ça il y a des choses formidables et c’est à cela qui faut s’attacher, moi je m’attache à ça et à le transmettre. On n’est pas tous formatés de la même manière et l’essentiel c’est d’être en équilibre avec son cœur.
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- Et vous avez d’autres pistes pour l’école, pour votre fils ?
- S.
- Il est encore jeune, il est encore très jeune, donc on essaye de le rassurer en lui disant qu’il a un projet professionnel qui tient la route, qu’il faut prendre le temps, qu’il a le temps, on le fera peut-être d’une façon différente comme je disais tout à l’heure mais on prendra le temps. Mais face à un discours comme celui que nous venons d’entendre, je me ferme et c’est difficile de reprendre, c’est un parcours qu’on rencontre, un parcours de rejet et on apprend à vivre avec.
On a de plus en plus de défiance envers les institutions, envers ce qui vient de l’État, de plus en plus de méfiance puisqu’on s’aperçoit qu’on n’est pas vraiment soutenu. J’ai rencontré un délégué du ministère de l’éducation nationale qui faisait une enquête sur l’inclusion, je leur ai sorti mon discours et ils m’ont dit « mais ce n’est pas possible, c’est impossible que ça se passe comme ça », « si c’est la réalité c’est ce qu’on vit ». Ils étaient estomaqués et ils m’ont dit « au nom de l’éducation nationale nous vous présentons nos excuses » parce que ça ne devrait pas exister, malheureusement c’est du quotidien et les gens, enfin on n’a pas de moyens, on supprime des postes et voilà ce qui arrive.
En parlant de suppression de poste, j’ai travaillé en maison de retraite aussi, c’est lamentable, il y a de la maltraitance institutionnelle, c’est affreux. Moi j’ai eu une suppression de poste du jour au lendemain, ça faisait 10 ans que je travaillais de nuit, on m’a dit « écoute on supprime le poste, on a besoin d’une seule personne la nuit », on s’est battu pendant deux ans en disant « mais ce n’est pas sécurisant pour les personnes âgées, elles payent 2000€ par mois, elles ont besoin de sécurité, si elles tombent » « Ecoutez, il n’y a pas de budget, il n’y a pas de budget » et voilà, et on m’a dit au revoir. J’ai dit : « oui mais j’ai un fils, je dois m’en occuper et travailler de nuit, comme ça, ça m’aidait » « oui mais si votre fils est handicapé, prenez un congé pour enfant handicapé ». Voilà donc ça encore c’est une chose injuste, la façon dont on s’occupe de nos ainés. - ??
- Peut-être une dernière question qui me vient comme vous avez été assez loin dans ce que vous disiez, c’est qu’est-ce qui nous guide dans nos choix et qui fait qu’on sait ce qui est juste ou pas ?
- S.
- Comment savoir ce qui est juste ? Beh c’est de laisser parler son cœur et voilà et y aller avec son cœur et croire aux belles rencontres, avoir foi en l’humanité et toujours agir avec son cœur. C’est ce j’ai fait là parce que les caméras ce n’est pas mon truc, et j’ai envie de rentrer chez moi mais mon cœur, il m’a dit « Vas-y ». Là c’est mon voisin qui arrive.
(Une voiture et quelqu’un qui dit « Bonjour »)
- S.
- Hoou hou ! C’est son mariage samedi. Mon premier mariage homo, vous voyez voilà encore des choses justes et injustes, ça c’est une ouverture, ça aussi c’est la tolérance.
- ??
- Oui c’est ça la question de la différence dont vous parliez au début, et de l’accueil de cette différence-là, qui a beaucoup à voir avec la notion de justice. C’est une avocate qui nous a fait remarquer, qui nous disait si vous devez rencontrer des gens, posez-leur la question de la différence. Comment on accueille cette différence ? Parce que c’est là que ça commence, peut-être le fait d’avoir du mal à se mettre à la place des autres.
- S.
- La différence pour moi elle est enrichissante +++. Maintenant la différence elle fait peur et les gens ils se méfient, ce qu’ils ne connaissent pas ils en ont peur. Dans ma famille, on est quatre très unis, aucun de nous n’a le même nom de famille et ce n’est pas ça qui, ça va au-delà du nom de famille, ça va au-delà de l’administration. On voit tellement de choses sur les réseaux sociaux où tout le monde est épinglé, attention il faut faire comme ci ou comme ça, on est complètement matraqués par toutes sortes d’injonctions. « Attention ce n’est pas bon pour la santé de faire ça. » Il faut trouver un juste milieu et trouver ce qui est bon pour soi. Maintenant on ne sera pas des saints, l’essentiel c’est d’être en accord avec soi-même, on n‘est pas là pour être hyper performant, au contraire on est là pour apprendre. Je suis dans l’émotion vive, donc c’est Paf.