Episode 5/13 - Libertés fondamentales
Nous arrivons devant la plus grande entreprise du territoire spécialisée en domotique, dans un parc verdoyant et nous adressons à l’accueil pour savoir où rencontrer un·e salarié·e qui serait prêt·e à nous parler. On nous dit d’attendre dehors, que certains prennent leur pose sur le côté.
Contre toute attente, la seule personne à sortir de l’entrepôt vitré, un attaché-case à la main, est un technicien responsable du système d’information au centre des armées. Il ne pourra pas nous expliquer plus précisément ce qu’il fait ici, mais nous comprenons que la prévention de cyberattaques nécessite des rapprochements avec des PME pour la gestion des données. Ici, dans les champs, se prépare peut-être la riposte aux cyberattaques. Nous nous installons près du lac artificiel de cette silicone vallée bretonne et entamons la conversation soufflée par le vent. Il nous rappelle la présence d’un monde souterrain parallèle à celui du web, qui n’en est que la face immergée et jolie, tout un réseau mafieux avec échanges de données, trafic de drogue, d’armes. Je me dis qu’en évoquant le darkweb, notre enquête prend un tour nettement plus technique, que nous arrivons là sur le terrain glissant des libertés individuelles et des frontières virtuelles entre états. En 2015, lors de l’état d’urgence imposé par le gouvernement Valls suite aux attentats du 13 novembre, la mise en place de mesures renforcées de justice administrative mettent en question les procédures habituelles lorsqu’il s’agit de lutte contre le terrorisme. Ces mesures préventives, qu’il soutient, touchent cependant vraiment aux limites. Aux limites de droits de la personne. Tant qu’elle n’a pas commis le fait, il est difficile de lui reprocher quoique ce soit. Mais toutes les mesures de rétention administratives sont étudiées pour éviter l’acte répréhensible, protéger la société, la personne elle-même. Mais peut-on prevenir un accident ?
Un principe est à retenir : pour le juriste, la manifestation de la vérité est aussi importante que la protection de la liberté. L’autorité judiciaire, « gardienne de la liberté́ individuelle » selon l’article 66 de la constitution, doit veiller au respect de ce principe et à la prohibition de toute détention arbitraire. Sachant que toute détention en garde-à-vue débute par une arrestation décidée à discrétion par un Officier de Police Judiciaire ou sur instruction du Procureur, l’autorité judiciaire doit donc organiser les modalités d’application de ces mesures préventives et répartir les compétences entre ces différents acteurs afin de préserver les libertés individuelles.
C’est ce que j’apprendrai tant bien que mal dans le cadre d’un cours sur les Droits fondamentaux quelques années plus tard, réponse rédigée à l’occasion de l’examen final à la « Question 4 : Régime de la garde-à-vue et respect de la liberté́ individuelle”. Curieux d’en apprendre un peu plus, mais terriblement largué par la somme des références et la vitesse d’élocution de l’intervenant j’avais appris que le Conseil d’état, véritable cour constitutionnelle dédiée aux actes administratifs et plus haute chambre de la seconde juridiction en France, la juridiction administrative, se consacre à la défense des libertés de l’individu face à l’administration, et ce depuis 1800.
Ainsi l’état d’urgence déclaré le 14 novembre 2015, au lendemain des attentats du Bataclan et prolongé six fois durant les deux années suivantes, qui avait habité les débats dans les médias, en posant nombre de questions sur la mise en œuvre de procédures d’exceptions devenues courantes y trouvait la source de sa contestation…
Plusieurs articles de cet état d’urgence on fait l’objet de Question prioritaires de constitutionalité déposées par la Ligue des droits de l’homme auprès du Conseil d’Etat et soumises au Conseil constitutionnel qui a statué que les mesures de police de réunion, l’assignation à résidence et les perquisitions administratives mises en œuvre sur décision des préfets demeuraient légales et ne nécessitaient pas de contrôle renforcé par l’autorité judiciaire[1]. Ces dispositions étaient tellement conformes à l’esprit du temps qu’elles ont ensuite été intégrées au droit français dans la loi Sécurité de 2017 qui prenait le relai de l’état d’urgence. Pour tirer les conclusions de la seule disposition invalidée par le Conseil Constitutionnel [2], la conservation des données informatiques interceptées, cette nouvelle loi a mis en place un nouveau régime légal des communications hertziennes[3], limité, mais ouvrant tout de même une brèche dans l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en portant « une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances ».[4]
J’avais devant moins un agent des services de renseignement, probablement un simple technicien, tout à fait ouvert au dialogue et pour qui la conclusion était simple : le fait de dire ce n’est pas juste, c’est un jugement personnel. Si on s’appuie sur le droit, vous avez des actes qui sont autorisés dans les textes et d’autres qui ne le sont pas. Vous pouvez faire ce qui est dans la réglementation et ne devez pas faire ce qui est interdit. Après, ça reste le jugement de Dieu.
Mais alors qu'est ce qui fait justice ? Est-ce la simple application du droit ? Mais même le droit, ce n’est qu’un outil. Et quelle est la place du juge ? Sa part. Qu’invente-t-il de nouveau ? Est-ce là que s’écrivent nos futurs ? Heureusement, nous devons rencontrer cette avocate demain.
[1] https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-interventions/lutte-contre-le-terrorisme-etat-d-urgence-et-etat-de-droit
[2] décision du 21 octobre 2016
[4] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/10/21/surveillance-hertzienne-le-conseil-constitutionnel-censure-la-loi-renseignement_5017813_4408996.html