Note d'intention
Mon histoire familiale s’est construite autour d’une affaire de justice. Une affaire de terrain, à la campagne, qui mêlait des notions d’héritage, de voisinage, de coutume, et un procès auquel mes parents furent mêlés malgré eux et dont leur maison jusqu’à récemment en était le témoin. La justice a longtemps été pour moi cet endroit d’autorité lointain qui bouleverse nos vies à un moment donné, tout en se rendant compte que l’injustice n’est pas nécessairement celle de l’institution mais d’un enchevêtrement de situations, un sentiment mouvant mais prégnant. C’est sans nul doute aujourd’hui pour cette raison qu’il m’est aussi important de comprendre le pouvoir que la justice exerce, ou plutôt, de comprendre à quel point elle est essentielle à nos existences.
Comment parler de justice sans enquêter ?
Avant tout procès il y a un travail de terrain, un recueil de témoignages, une contextualisation.
Si l’idée est ici d’examiner le dossier de la justice, en tant qu’institution humaine aux conceptions et aux applications diverses, alors il nous faut saisir ce que ce mot signifie encore, concrètement.
Nous ne nous inspirons pas d’une pièce déjà écrite, comme dans les précédents spectacles, mais des multiples récits que nous avons parcourus, tous spécifiques, constitués lors de l’exploration de six géographies différentes où, au-delà d’une récolte de témoignages, nous avons enquêté et pensé collectivement.
Enquêter avec d’autres êtres
Comme le dit la philosophe Vinciane Despret : Une enquête (sociologique) ne vise pas tant à décrire une expérience mais à la faire exister. À ce titre, toute enquête est d’abord et avant tout une expérimentation : elle assume de modifier ce qu’elle se donne comme objet à étudier. Il ne s’agit donc pas tant de décrire, à froid ou à distance, une réalité qui préexisterait à la description, mais d’accompagner un problème, une expérience que vivent des personnes ou des collectifs, et de donner à ce problème ou à cette expérience une existence collective.
Ainsi en ayant débuté ce travail, nous avons compris que nous irions proposer à des personnes un temps à part pour s’extraire du quotidien et penser avec elleux, et non pas sur elleux, colporter au gré des journées une réflexion qui s’enrichit de leurs points de vue.
Si nous contribuons à faire exister ce que nous étudions, nous le faisons en sachant que «les personnes concernées le font très bien sans nous – et à condition que lesdites personnes puissent reprendre notre travail»
C’est pour rendre possible cette restitution de la pensée parcourue dans chaque territoire que chaque voyage-résidence nommé « module » est conçu en deux temps : celui de la rencontre tout d’abord, puis de la restitution de ce débat imaginaire sous forme d’installation vidéo scénographiée : « cartographie sensible ».
Un processus de création original tourné vers le voyage, un cycle d’exploration en 6 modules.
Chaque module est associé à la découverte d’un espace géographique. En travaillant sur un périmètre contraint, les quatre comédien.nes-auteur.rices du projet JUSTICE·S interrogent des habitants et acteurs locaux sur « leur sentiment de justice ». En suivant un protocole précis déterminé par une géographie il.elles recueillent la parole du territoire en sillonnant les routes et chemins à vélo, à pied ou en train.
Petit à petit, c’est toute une discussion liée qui s’étend de villes en villages, un débat nourri par les retours des un.es et des autres sur cette notion. Alors que cette dernière est habituellement liée à une institution, ce projet valorise la justice vécue au quotidien par chacun.e. Celle qui nous guide dans nos décisions au jour le jour.
Un rapport spécifique au paysage guide le regard des autres arpenteur.euses, à l’instar de celui développé par Marielle Macé dans Nos cabanes.
Chaque module est présenté sous la forme d’une installation vidéo sur trois grands écrans de 3mx2m faisant dialoguer les vidéos entre-elles et accueillant le public en son centre.