Pikpa à Lesbos
Quentin Brzustowski est volontaire de l’association Lesvos Solidarity au camp de Pikpa sur l’île de Lesbos. Il s’agit d’un camp de vacances abandonné et repris en 2012 par un groupe de locaux pour fournir un hébergement décent aux réfugié·es de passage. Lorsqu’en 2016, suite à l’accord de l’Europe avec la Turquie pour bloquer toute circulation des réfugié·es, les îles de la mer Egée sont bouclées, le camp s’organise pour fournir différents services de plus long terme (épicerie, produits sanitaires, assistance juridique…) tout en réfléchissant aux possibilités d’autonomisation sur place d’une population nouvellement arrivée.
Nous sommes le jeudi 29 octobre 2020, il est 16h et les forces de l’ordre viennent de quitter le camp. Le lendemain matin de cette interview, à la première heure, tou·tes ses occupant·es seront délogé·es et relocalisé·es dans le nouveau camp fermé de Kara Tepe, à quelques kilomètres. Mais pour le moment, place à la visite.
- Quentin
- OK, si tu veux, on peut marcher ?
- Alors…on essaie ici de faire la démonstration que c’est possible de créer un lieu avec un peu de dignité. Et on va dire un certain nombre de bonnes pratiques vis-à-vis de l'accueil des personnes. Notamment, je te parlais du fait que les personnes ont leur propre cuisine. D’un point de vue psychosocial et aussi de création de communauté, c'est énorme, ça change tout par rapport à des personnes qui reçoivent une boîte en plastique tous les jours avec un truc qu’ils n’ont pas choisi et qu'il n'aiment pas forcément. Et qui aussi nie la capacité des parents à nourrir leurs propres enfants.
- Vincent
- Ils ont vraiment leur maison en fait ?
- Q.
- Ouais, chacune de ces maisons que tu vois là, c'est individuel, c’est pour une famille. Après, les personnes qui sont isolées se retrouvent à trois ou quatre et on fait en sorte qu’elles aient au moins une langue en commun. Bon ça arrive qu'on ait aussi des problèmes de voisinage, donc on essaie d’arranger pour que ça fonctionne un peu humainement.
- V.
- C’est déjà une énorme différence le fait que ce soit des maisons en bois.
- Q.
- On peut dire qu’on a de la chance avec l'espace aussi qui est assez joli : on a la forêt là-bas, et oui l'environnement participe à un sentiment de bien-être par rapport à des tentes alignées ou des containers. Ça n'a pas toujours été le cas ces dernières années. Ces maisons n’ont été construites qu’en 2018. ….
(Quentin est interpelé)
- Q.
- Euh, oui, Janet. Comment ça va ? Pas mal ?
- Janet
- Alors ? Ils disent quoi ?
- Q.
- La police est partie. En fait, ils sont obligés de vous donner des décisions individuelles s’ils veulent vous transférer. On a négocié avec eux qu’ils ne pouvaient pas faire bouger tout le monde maintenant. On ne sait pas s'ils vont revenir ce soir ou demain matin, on ne sait pas, mais pour l'instant, ils sont partis.
- J.
- Ils vont donner un papier à chacun ?
- Q.
- Normalement ils sont censés vous donner un papier pour justifier pourquoi vous partez et où et qu'ils vont continuer votre dossier et tout. T'avais envie de partir, toi ?
- J.
- hein … ? (rires) Non, j’ai pas envie de partir mais enfin quoi….. c'est la loi….?
- Q.
- Ouais, ouais.
(Nous poursuivons)
- V.
- Tu disais que ça n’avait pas toujours été comme ça, le camp ?
- Q.
- Ouais, non. Par exemple ça, les AR6, c’était les hébergements jusqu’à fin 2017. On s'en est débarrassé parce que du coup là-dedans tu ne peux pas cuisiner.
- V.
- C'est un sacré investissement d'avoir réussi à changer …
- Q.
- C’est MSF (Médecins Sans Frontières) qui a acheté les maisons-là.
- V.
- OK, donc vous êtes en contact ? Enfin je veux dire, vous travaillez ensemble ?
- Q.
- En fait le camp est autogéré. Il n'y a pas d'organisation en particulier qui est responsable de l'endroit et donc ouais au cours des années il y a eu divers acteurs. Avec Lesbos Solidarity on est là en termes de fourniture de services. On participe à la maintenance du camp.
- Derrière là on a les vieux vieux hébergements de 2013 à 2016 que maintenant on utilise pour ranger, parce que c’est pas tellement vivable, c'est hyper chaud en été et hyper froid en hiver… c'est le HCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés) qui construit ces beautés …c'est très facile à construire. Cest un peu ça leur truc, le HCR ils font de l'urgence.
- V.
- Et ce qui est fou c'est qu’ils ne prévoient pas plus de fenêtres ?
- Q.
- Hum… non, mais tu peux ouvrir ces trucs-là.
- V.
- Elles pourraient être un petit peu plus grandes....
- Q.
- Maintenant on les utilise comme atelier de menuiserie avec des résidents qui étaient un peu expérimentés au pays et qui voulaient construire du mobilier pour leur maison. Ça peut éventuellement les aider à trouver un job … s'ils ont des choses à montrer je veux dire, ça fait ça de plus. Euh, et après ici, on a une initiative de parents locaux qui, en gros, on écrit un manifeste sur l'éducation alternative. Donc ils ont monté ce truc là (il désigne un dôme) pour des enfants grecs entre 3 et 6 ans et en contrepartie du fait qu’ils utilisent l’espace ils prennent aussi tous les 3 à 6 ans du camp. Je crois que c'est en Norvège qu'ils ont développé cette méthode d’éducation...
- V.
- Dans la forêt, non ?
- Q.
- Ouais c'est ça. Donc c'est dans la forêt. Ils sont dehors toute l'année, il n'y a pas de hiérarchie entre les éducateurs et les enfants. Et pour nous, c'est un super projet d'intégration, parce qu’avec les petits évidemment ça marche super bien. Mais aussi ils ont un système d’assemblée qui fait que du coup régulièrement les parents se rencontrent, et des parents du quartier invitent certains de nos résidents pour jouer avec les enfants, et c'est franchement un chouette projet, au moins pour ça quoi. Mais donc là aujourd’hui ils ne sont pas venus parce que on se faisait peut-être expulsés !