Punir, et après ?
La justice pénale questionnée
Quels que soient le pays, l’époque de construction ou le style, les palais de justice européens ont généralement en commun une architecture austère et imposante, qui inspire « l’idée d’une justice terriblement oppressante » [1]. Une symbolique qui rappelle la fonction première de la justice pénale : sanctionner les infractions à la loi en infligeant une peine, le plus souvent une condamnation à la prison[2].
Mais au fond, à quoi sert la peine ? « On se dit que la personne qui a fait mal va payer ; qu’elle aussi va souffrir peut-être, en étant enfermée. Si la justice n’est pas vengeance, qu'est-ce qu'elle est ? » Suivant cette approche, qualifiée par la pénologie de « rétributive », le rôle de la justice est de « compenser le mal infligé à travers l’infraction en attribuant en retour un mal équivalent sous la forme d’une peine »[3]. Mais les souffrances peuvent-elles réellement se compenser ? Comment imaginer combler la mort de personnes dans un accident de voiture causé par un état d’ébriété ou une inattention ? A l’inverse, peut-on penser qu’une incarcération de plusieurs mois, avec les multiples privations et conséquences négatives qu’une telle peine suppose[4], soit une juste contrepartie pour des délits tels que la conduite répétée sans permis ou sans assurance ou la détention de cannabis, qui conduisent pourtant à des incarcérations massives ?
Dans une autre approche, dite utilitariste, la peine doit avant tout servir à protéger la société, par un effet de neutralisation (incarcérée, la personne ne peut commettre de nouveaux méfaits), de dissuasion (la crainte de la sanction dissuaderait les personnes tentées de commettre une infraction) et par la réhabilitation (qui suppose que l’individu prenne conscience de son acte et cherche, à sa sortie, à s’amender).
Mais, « sauf à prononcer des peines incompressibles sans possibilité de sortir, la neutralisation a des effets limités dans le temps et contrebalancés par le risque d’insertion dans des milieux délinquants ou criminels »[5] - « tu rentres avec un BEP de je ne sais quoi et tu ressors avec un bac pro en grand banditisme », ironise un homme rencontré par les artistes-enquêteurs du Joli collectif en Bretagne romantique. Quant à la dissuasion, « les études comparatives entre pays et entre périodes montrent que l’évolution des infractions est largement indépendante de l’accroissement de la sévérité et de l’augmentation de la population carcérale »[6]. Mais c’est sans doute l’objectif de réhabilitation qui semble le moins atteint par le système carcéral : si la peine de prison pourrait être vue comme un « temps d’arrêt » propice à l’introspection et à la remise en question et, in fine, à la réinsertion, la surpopulation et le « manque de moyens d’accompagnement » réduisent à néant cet idéal. « La prison, ce n’est pas quelque chose qui fait évoluer. Tout ce qu’elle fait, c’est détruire mentalement. La prison, ce n’est pas un centre de redressement. C’est un endroit pour punir, pas pour permettre aux gens de se réinsérer dans la société. C’est même pire à la sortie, pour les jeunes c’est encore plus difficile de trouver un travail, une formation… », se désole Soufiane, rencontré au détour d’une rue du quartier de Schaerbeek, à Bruxelles. De fait, 31 % des sortants de prison sont à nouveau condamnés dans l’année de leur libération[7], et 63 % dans les cinq ans[8]. « Ainsi notre appareil punitif, en tant qu’il est censé protéger efficacement la société et sanctionner de manière juste les infractions, échoue-t-il sur les deux plans. »[9] Face à ce constat d’échec, « ne faudrait-il pas privilégier d’autres peines, davantage tournées vers l’insertion ? » s’interrogent les personnes rencontrées par les artistes-enquêteurs du Joli collectif.
Au-delà du type de sanction, n’est-ce pas plutôt le logiciel même de la justice pénale qu’il faudrait repenser ? Plutôt que de viser à punir les coupables, la justice ne devrait-elle pas plutôt chercher à réparer le mal causé ? Une philosophie qui irrigue d’autres systèmes de justice et dont certains pays occidentaux, dont la France, tentent de s’inspirer à travers des dispositifs de « justice restaurative » ou « réparatrice »… sans que ceux-ci ne se substituent jamais totalement à l’approche punitive[10].
[1] Les propos entre guillemets non-référencés sont extraits des interviews réalisées par le Joli collectif dans le cadre du projet Justice.s.
[2] Bien qu’il existe des sanctions alternatives, l’emprisonnement reste la première peine distribuée par les tribunaux correctionnels, avec 266 578 condamnations à de la prison ferme ou avec sursis prononcées en 2022.
[3] Virginie Gautron, Cécile Vigour, « Les représentations sociales des peines en France : une approche par entretiens collectifs », in Les sens de la peine, Presses de l’Université Saint-Louis, 2019. Lien : <http://books.openedition.org/pusl/25957>. ISBN : 9782802805212. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pusl.25957.
[4] Voir le site de l’Observatoire international des prisons-section française : www.oip.org.
[5] Didier Fassin, « L’obsession de la punition », Dedans dehors, n°97, octobre 2017.
[6] Ibid.
[7] Service statistique ministériel de la justice, Infostat Justice n°183, juillet 2021.
[8] Annie Kensey, Abdelmalik Benaouda, « Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’Études Pénitentiaires et Criminologiques, 2011.
[9] Didier Fassin, art.cit.
[10] Lire notamment « Justice restaurative : la fin de la logique punitive ? », revue Dedans Dehors, n°94, décembre 2016.