Episode 4/13 - Qui peut parler ?
Le jour du départ en juillet, nous nous réunissons, j’ai repéré les campings sur la carte et propose un trajet qui s’affinera au fur et à mesure et nous permettra de dessiner les contours de cette communauté de 25 communes, de la même manière que nous tenterons de cerner les contours de notre sujet. Nous prenons le TER à Rennes, tous les 4 avec nos vélos et nos sacoches, le soleil est au plus haut et après un trajet d’une vingtaine de minutes nous parvenons à la frontière de cette communauté. Première étape, le lieu-dit la justice que j’ai repéré au hasard de mes recherches préliminaires sur le web. Je suis bien décidé à poser un autre regard sur cette terre natale, à me laisser surprendre par ce qui ailleurs me semblerait étonnant, et je me dis que nous rendre en ce lieu pour débuter notre recherche, à défaut de nous donner quelques clefs de compréhension, nous obligera à faire des liens inattendus.
C’est Marie-Jeanne que nous rencontrons alors qu’elle range le tracteur de la commune dans un hangar. Elle nous accueille dans son jardin, nous la posons au milieu du cadre et tarissons malgré nous le dialogue entamé au long du chemin par nos questions trop alambiquées. Elle nous raconte qu’autrefois effectivement il devait y avoir justice rendue ici, au pied de la Croix de la justice par le chatelain du Château du Piguelais, que les lieux-dits , les patronymes mêmes sont les traces de faits historiques. Mais il ne s’agit que de transmission orale, peut-être brode-t-on aussi. Pas loin d’ici se trouve la cohue, où l’on abattait les animaux et peut-être même quelques condamnés. Mais habiter à la justice, c’est tout de même mieux que la potence ! Il ne fallat pas grand-chose pour être jugés et l’arbitraire, sans faire de généralités nous précise-t-elle, pourrait selon elle être évité si on redonnait un peu plus de pouvoir à la base, si on donnait la possibilité d’exercer des décisions. Les jurés par exemple, ne sont pas là pour rien nous dit-elle. Elle travaille pour la mairie et parfois pense, contrairement aux élus, que dans ces espaces verts dont elle a la charge, tel arbre ne devrait pas être abattu. Comment tenir compte de l’existant ?
L’écoute, c’est précisément ce qui interpelle Jérôme, cafetier et épicier dans ce bourg de 350 habitants depuis deux ans. Il défend la convivialité, de faire bouger le commerce, car comme on nous le dira le lendemain à 10km de là, c’est bête comme une petite épicerie ça amène du monde. À la gare de Combourg, depuis la cuisine du café-épicerie de ma tante, autrefois de mes grands-parents, où je faisais mes devoirs en attendant que mes parents ne viennent me chercher chaque fin d’après-midi, j’ai entendu durant des années ces conversations de café. Où les hommes souvent, de véritables figures théâtrales, venaient faire leur numéro tendre, rugueux, rigolard accoudés au comptoir, avec ma tante en madame loyale de tout ce petit monde. C’était aussi le lieu des revendications, des annonces, des disparitions, de l’écho des foyers, de l’histoire d’un ancien quartier ouvrier dont l’usine avait fermée, caisse de résonnance des transformations économiques des années 80.
Mais comme le dit Jérôme, le café c’est plutôt le lieu de la rigolade que de la politique, on n’y dit pas ce qu’on pense sinon on se fait des ennemis, même dans ce secteur. On y connait la vie des clients, il faut savoir écouter la vie des gens, mais sans raconter celle des autres. Ecouter sans colporter. Faire attention à ne pas trop débattre. C’est pourtant là que les gens se trouvent. A moins qu’il ne soit plus facile de les rencontrer sur les réseaux, nouvelle place publique où, à l’inverse, l’expression est en roue libre et les échanges d’autant plus directs qu’ils ne sont pas incarnés.