Le territoire c'est ce sur quoi l'on vit, le paysage c'est notre façon de l'habiter

Type de document
entretien
Lieu·x
Québec
Thématique·s
JUSTICE CLIMATIQUE
Date
juin 2022
Auteur
Nicolas Paquet

Nicolas Paquet, est cinéaste indépendant. Nous le rencontrons dans le village où il habite, à Saint Alexandre de Kamarouska, dans le Bas-Saint-Laurent. Il réalise des films documentaires qui réfléchissent les rapports complexes entre vie sociale, vie économique et vie environnementale en s’appuyant sur des lieux et situations précises. Nous mettons en perspective avec lui ce qui fait territoire et paysage dans les façons d’habiter mais aussi d’exploiter comme le décrit son premier long métrage en Abitibi sur la ville et la mine de Malartic.  

Nicolas Paquet 
Le territoire c’est un terme qui est un peu difficile à définir. J'aime bien le mot paysage. Parce que le paysage amène d'abord une idée esthétique. C'est ce qu'on regarde et ce qu'on trouve beau idéalement, mais c'est aussi ce qui est façonné par le paysan. On peut prendre le paysan au sens large. Il y a des gens qui habitent et qui façonnent justement le territoire pour en faire des paysages, des paysages habités. Ça ramène à cette idée de rapport : le territoire, c'est peut-être, ce sur quoi on vit et le paysage, c'est la façon de l'habiter.

Le premier long métrage documentaire que j’ai réalisé « La règle d’or » en 2011 se penche sur une compagnie minière qui détruit un milieu de vie donc un quartier complet d'une petite ville en Abitibi. En fait, ce que je cherchais d'abord, c'était de parler de l'exploitation de l'or, parce que je trouve que c'est aberrant encore aujourd'hui de détruire la planète et la vie des populations pour extraire ce minerai, qui ne sert en grande partie à rien puisqu’on le déterre pour le remettre dans des voûtes et tout d'un coup il vaut très cher. C'est vraiment un rapport de pouvoir qui est aberrant. Les compagnies ont tous les droits et donc elles ont le droit de dire aux gens : « on achète votre maison plus ou moins au prix qu'on veut et on la détruit. Si vous ne partez pas, simplement, on vous exproprie. » C'est la Loi canadienne des mines qui n'a pas changée depuis très longtemps. Et donc on avait là un exemple où la justice est injuste. Si vous avez une maison, la maison vous appartient, le gazon vous appartient, mais ce qu'il y a en dessous ne vous appartient pas. Dans ce cas précis de Malartic, il y a quelqu’un qui a voulu tenir tête jusqu'au bout et qui a été sorti de chez lui par la police, les représentants de la justice sont venus le sortir de chez lui pour que la compagnie puisse détruire sa maison. Donc, c'est assez incroyable de penser qu’encore aujourd'hui, on puisse assister à des scènes comme ça. Pour moi, c’est une anecdote très éloquente qui raconte l'enrichissement total d'actionnaires alors qu’il n’y aucune retombée pour une partie de la population locale. Malartic a été créé par une compagnie minière en 1938 et a survécu de crises en renaissances à travers les différents projets miniers. Mais encore aujourd'hui, il y a une partie de la population qui vit sous le seuil de la pauvreté.

Vincent Collet
Il n’y a pas d’arrêtés contre cette compagnie-là ?
Nicolas P.
Il y a eu des amendes, certainement pas assez élevées pour les en empêcher. Et je ne vais pas non plus les démoniser. Les compagnies minières font des efforts ou s'adaptent quand elles le peuvent. Mais ce que l’on observe, c’est que c’est le système judiciaire qui va davantage s'adapter à leur demande. Par exemple, quand elles ont commencé l'exploitation, elles dépassaient les normes de bruit constamment et au lieu d'exiger d'elles de faire moins de bruit, ils ont changé les normes. Ils ont mis plus de décibels dans les règlements pour qu'elles puissent continuer à opérer. Parce que les contraintes du système économique font que si cette compagnie-là ne roule pas 361 jours par année (elles arrêtent quatre jours pour faire le ménage et l'entretien), si elles ne roulent pas jour et nuit, les actionnaires ne sont pas contents. Et le lobby minier aussi est un des lobbies les plus forts, particulièrement au Canada, à cause des réglementations qui sont plus laxistes. Le lobby minier fait des démarches auprès des gouvernements. Une compagnie minière peut avoir une vingtaine de lobbyistes en son nom.
Vincent C. 
Et pour les habitants ?
Nicolas P.
Il faut pour cela se placer dans l'histoire du lieu, c'est à dire que c'est une ville minière. Donc pour les habitants, la mine est à la fois une nécessité et ce qui fait vivre depuis des générations. Donc il y a beaucoup d'ambivalence entre ce que peut apporter le projet et les impacts négatifs sur la population, puis sur le milieu. Mais je me rappelle d’une personne qui était mineur, près de la retraite, il avait travaillé dans les mines toute sa vie et il faisait le constat de la dévastation de ce territoire-là après tant d'années à le creuser, à le meurtrir. Je pense qu'il y a aussi eu une réflexion chez ces gens-là, à savoir : est ce qu’il y a d'autres possibilités ? Est-ce qu'on doit rester dans ce cycle-là ? Ou est-ce qu’on peut aussi repenser comment on est ensemble, puis comment on connecte avec le milieu ?  C'est toujours un système où les individus sont amenés à adopter les normes qu'on leur fait miroiter un peu comme les lingots d'or. Individuellement, c'est difficile de s'extraire de ce système-là dans la région. Il faut penser que les mineurs commencent très jeunes parce qu'ils sont attirés par les compagnies minières avec de très bonnes conditions salariales. Ce n'était pas le cas dans les années 50 ou 60 par exemple, mais aujourd'hui si. Donc tristement, je dirais que comme ils quittent l'école par exemple en secondaire cinq, ils n'ont pas le temps d'avoir des cours de philo, entre autres, ni de se forger une culture générale, de prendre le temps de vivre un peu et ils sont envoyés sous terre, un peu comme dans "La Caverne" de Platon. "La caverne" de Platon étant le système économique où on gagne beaucoup d'argent, on travaille très fort, ensuite on dépense cet argent-là, la fin de semaine, avec le chalet, le bateau. Dans le quotidien, il n’y a plus d'espace pour la critique et pour se poser la question : est-ce que je participe à quelque chose qui réellement apporte à ma communauté ? Ou est ce qu'il y aurait autre chose à faire ? Moi, je n'ai pas tendance à fustiger les individus, mais plutôt le système que nous avons tous bâti ensemble, qui est le système capitaliste actuel.  
Vincent C. 
Quel futur politique te semblerait possible pour transformer cette réalité  ? Est-ce qu’il y a des choses ici au Québec auquel on pourrait s’intéresser pour initier des transformations ?
Nicolas P.
Oui je pense que c’est localement. Si on avait l'impression qu'on peut transformer notre communauté à partir de notre relation avec le conseil municipal ou avec des groupements locaux, les gens s'investiraient davantage. Et puis ils verraient assez rapidement aussi les changements. Aller parler à un ministre pour lui dire que son projet de loi devrait changer parce que chez nous, localement, on aimerait que ça se fasse de telle façon, ça paraît tout simplement impossible pour la plupart des gens. Mais si c'est le maire qu'on croise à l'épicerie une fois de temps en temps, et puis avec qui on discute, là, on peut changer les choses, on peut dialoguer avec le pouvoir local. Donc moi, je suis beaucoup pour l'idée du petit, dans le sens de, localement, on se regroupe. Malartic a été un point tournant parce qu'on n'avait pas vu ça depuis des décennies au Québec. Un tel déplacement de population. Et ce qu'on a gagné justement, c’est un peu de pouvoir municipal. C'est à dire que maintenant, les municipalités peuvent, à certaines conditions et avec beaucoup de paperasse et de travail, dire : telle portion de la municipalité on la soustrait d’un possible projet minier. Par exemple c'est un territoire naturel exceptionnel ou c'est un milieu de vie X pour la population locale. Mais à ma connaissance, il n'y a pas beaucoup de municipalités encore qui ont pris le temps et l'énergie de faire ça. Mais ça existe. C'est un petit pas dans la bonne direction, mais on est vraiment dans une dynamique ou on pense qu'on ne peut pas vraiment enlever les libertés économiques des entreprises. Et puis nous, on doit faire avec. Autrement dit, on doit être aux aguets et défendre nos droits plutôt que de partir du principe que les compagnies devraient être sur la défensive et réfléchir avant de s'accaparer un territoire.
Marie-Lis C.
Et c’est quelque chose que tu questionnes aussi dans ta façon de regarder le paysage et de le filmer ?
Nicolas P.
Ce que j'essaie d'observer ou de garder en tête, c'est qu'il faut aller au-delà de la carte postale : les couchers de soleil ici, du Kamouraska, semble-t-il, sont les premiers ou les deuxièmes plus beaux au monde. Donc, j'habite ici. Je pourrais en mettre dans tous mes films, ça serait facile et ça finirait toujours avec une image extraordinaire. Mais je pense qu'il y a de la beauté partout : un de mes films se passe dans une ferme, qui n'est pas esthétiquement très remarquable, à l'intérieur aussi, on voit que l'investissement n'est pas fait sur le mobilier ou sur du design. Mais quand on y passe beaucoup de temps, puis qu'on porte attention, par exemple au changement de couleur des lierres qui couvrent la façade, on devient complètement estomaqué par cette beauté-là. Donc c'est dans les détails. C'est aussi de regarder et de re-regarder et de faire attention à l'évolution du paysage, qui fait sa beauté. Je pense qu'il faut prendre le temps. Il y a toutes sortes de façons d’être attentif à cela. Par exemple, Jean Bédard, que je présente dans le film sur la ferme de Sageterre « L’acte de la beauté », lui, il a un regard scientifique parce que c'est un érudit. Il connaît tout, par exemple l'assimilation du glucose par les plants d'asperges, donc il a en plus ce regard-là, presque micro-cellulaire par rapport à ce qu'il voit. Je pense que ça peut provoquer l'émerveillement. Tout comme quand on regarde le ciel, on peut trouver ça beau, mais on peut aussi le mathématiser ou le diviniser. Il ne faut pas qu'on ait tous le même regard, que ce soit avec des canons esthétiques ou avec une façon de systématiser le paysage. On a tous des sensibilités, donc on peut les développer ou pratiquer chacun de ces prismes-là pour le regarder.